Un observateur d’une autre planète qui reviendrait en Europe après 2000 ans d’absence constaterait que l’esclavage a certes disparu dans nos sociétés démocratiques mais que l’homme l’a intériorisé en se soumettant volontairement à toutes sortes de normes hygiéniques grâce à des béquilles technologiques. C’est ce qu’a montré avec brio l’émission «Mise au point» de la RTS du 8 février dans un reportage intitulé «Je monitore ma vie».
Est-ce un «je» autonome? Non, il s’agit d’un moi qui abdique en se délocalisant dans une machine à qui il délègue la conduite de son existence. Une personne interviewée l’avoue candidement: «Je pense que mon téléphone connaît plus de choses sur moi que moi-même.» Me voici bardé de capteurs capturant mes comportements et transmettant toutes sortes d’informations à mon iPhone ou à ma montre: mes battements cardiaques, mon taux de cholestérol, le nombre de mes pas, les calories que j’absorbe mais aussi les amis que je contacte le plus, le type de marchandises que j’achète… Je suis capté donc je suis. Nous sommes bel et bien ici en présence de deux «moi»: la «conscience électronique» siégeant dans un appareil et la «conscience subjective» qui m’habite depuis tout petit. Le comble est que la première tend à contrôler la seconde. La machine me rappelle spontanément à l’ordre dès que je m’écarte de mon programme. «Je n’ai fait que 5803 pas, remarque une autre personne interrogée, mais je devrais en faire 10 000 par jour selon les prescriptions de l’OMS.»
Pour mon bien, je me soumets aux bips de Big brother, mon double technologique. Bip, tu n’as pas assez marché! Bip, tu cours trop vite! Bip, tu manges trop gras! Bip, tu te couches trop tard! Bip, tu bois trop! Et bientôt: bip, ne t’approche pas de cette personne, elle est malade ou bip, ne lui prête rien, elle est insolvable! Ces outils électroniques peuvent certes s’avérer utiles en cas de maladie comme le diabète ou les troubles cardiaques. Néanmoins en m’y soumettant pour tout, je me ligote aux diktats de la «pensée hygiéniste», cet horizon indépassable de notre temps. Tout est indéniablement sous contrôle mais cette vie aseptisée ne ressemble-t-elle pas à une morne plaine où tout imprévu disparaît? La sécurité à outrance a remplacé l’autonomie. J’ai librement renoncé à ma liberté pour entrer dans un corset de contraintes et vivre peut-être une ou deux années de plus. Ce jeu de servitude volontaire en vaut-il la chandelle?
Il y a pire. En acceptant d’être à tout moment connecté à un engin technique qui «connaît plus de choses sur moi que moi», je consens à devenir une somme de données immédiatement exploitables par un système extérieur, une assurance, une banque ou un Etat, par exemple. Je suis alors totalement identifiable du dehors, étalé au grand jour, sous la lumière crue de prédateurs potentiels. Bientôt sans doute, mon assurance m’incitera à porter un bracelet électronique, comme un prisonnier, et mes primes seront calculées en fonction de ma soumission plus ou moins docile au canon hygiéniste. Et si je refuse? Je serai rayé de la carte ou je paierai un max. Oui, mon identité sera analysable du dehors ou ne sera pas.
Depuis quelques années, après plusieurs décennies dans la clairière de la liberté, la société nous invite à cette servitude volontaire en matière d’hygiène. Elle exclut impitoyablement tous les dissidents. Pensons aux fumeurs parqués dans des espaces de plus en plus restreints, aux automobilistes criminalisés à la moindre infraction ou même aux dragueurs qui ne peuvent plus aborder une jeune fille dans un espace public sans se sentir menacés d’un procès strauss-kahnien pour harcèlement! Bref, ne fumons pas, ne buvons pas, mangeons diététique, bougeons mais sans accoster de belles inconnues et tout ira pour le mieux dans un monde sans saveur et sans relief d’où rêve et poésie seront absents. Tel est notre islam (soumission) à nous, en Occident!
Paru dans La Liberté du 25.2.2015
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