Le procès du tueur de Marie nous fait réfléchir au sens de la justice. Quelle condamnation infliger au criminel endurci ? Sans prendre parti et sans préjuger des conclusions du jugement de ce cas particulier, nous examinerons différents arguments philosophiques quant à la peine encourue.
Emmanuel Kant, génial penseur de l’éthique et du droit, défend la peine de mort. Au nom d’un principe logique : la proportionnalité entre l’acte délictueux et la sanction. La justice juge avec équité, mot dérivant du latin « aequus » qui veut dire « égal ». Cette égalité est symbolisée par la balance que tient Dame Justice. Le châtiment sera donc égal au crime, comme l’écrit Kant : « Si le criminel a commis un meurtre, il doit mourir. Il n’y a aucune égalité du crime et de la réparation, si ce n’est par l’exécution légale du coupable. » La peine sera à la mesure de ce qu’a subi la victime. Cette conception rappelle la loi du talion ou la loi de karma en Orient : toute action entraîne une réaction symétrique. Kant qui fut physicien s’inscrit dans cette perspective. « Si tu tues autrui, tu te tues toi-même », dit-il. Cet argument purement rationnel a le mérite de la clarté.
Il existe cependant une autre logique. La loi basée sur l’interdiction du meurtre ne peut elle-même tuer. Le meurtre légal n’est-il pas une contradiction dans les termes ? C’est ce que pensent Victor Hugo et Albert Camus qui affirme : « Le meurtrier a des excuses dans les passions. La loi non. » Le législateur ne se laissera pas exciter par le chiffon rouge de la vengeance. Plus fort encore me paraît l’argument de la liberté avancé par les existentialistes comme Sartre. Tout homme, fût-il le pire des salauds, a la faculté de changer. Il n’est pas irrémédiablement programmé à être toujours ceci ou cela, par exemple un tueur. Sartre exprime cette vérité dans cette formule : « L’existence précède l’essence. » Il l’explicite ainsi : « L’homme existe d’abord et se définit après. Il n’est rien d’autre que ce qu’il se fait. » Il construit librement sa propre vie et peut modifier sa trajectoire à tout instant. Cet argument est valable aussi bien contre la peine de mort que contre l’enfermement à vie. Décider aujourd’hui d’exécuter un meurtrier ou de l’emprisonner à perpétuité, c’est l’enfermer dans son essence de criminel en niant son libre arbitre. Est-il possible de soutenir qu’une personne ne va jamais évoluer ? Non. Alors ne l’internons pas pour toujours et permettons-lui de voir sa situation réévaluée périodiquement !
Mais l’argument qui précède n’est-il pas fallacieux puisqu’il considère le criminel en oubliant la victime ? Il est partiel et donc partial. Au lieu de se poser la question du point de vue de l’assassin (peut-on dire qu’il ne changera jamais ?), on la formulera dans l’optique des victimes : peut-on être sûr que le meurtrier ne récidivera jamais, c’est-à-dire qu’il changera un jour définitivement ? Non et dans ce cas, on ne prendra pas le risque de le libérer. Personne n’est capable de prédire l’avenir, même le plus futé des psychiatres. Par conséquent, on ne peut dire du criminel ni qu’il ne changera jamais, ni qu’il ne récidivera jamais. D’où la véritable question : faut-il privilégier l’intérêt du tueur ou celui des victimes ? La réponse semble évidente : le bien commun de la société, de toutes les futures victimes potentielles, prime sur l’intérêt du criminel. La liberté de vivre en sécurité pour tous passe avant la liberté de changer ou non de l’assassin. D’autant plus dans le cas du récidiviste ! N’a-t-il pas prouvé par la répétition de son acte qu’il ne change pas ? On justifiera aussi la réclusion perpétuelle à partir de l’existentialisme. Le tueur a la latitude de se réformer mais il peut aussi décider de simuler le changement et de rester pervers.
On remarque ici que la philosophie ne présente pas qu’une seule vérité. Elle en défend plusieurs et c’est à chacun de se forger sa propre opinion.
Jacques de Coulon
Paru dans La Liberté du 15 mars 2016