Notre époque se caractérise par l’effort prométhéen de l’homme qui veut tout dominer en modelant le monde à son image selon ses désirs, pour ne pas dire ses lubies. Du diagnostic préimplantatoire dans l’utérus au suicide assisté en fin de vie en passant par le choix du genre et le façonnage de l’environnement, tout doit être maîtrisé. Par son intelligence rationnelle et sa technique, l’être humain arraisonne toute chose, y compris sa propre vie, pour assouvir sa volonté de puissance. Est-ce bien raisonnable ?
Commençons par l’aube de la vie. Nous voterons en juin sur le diagnostic préimplantatoire (DPI) qui consiste à autoriser ou non l’examen génétique des embryons pour y déceler des anomalies. Pourquoi pas si cette analyse conduit à proposer un traitement le plus tôt possible ? Mais ce « remède » peut-il équivaloir à l’élimination de l’embryon ? Si oui, sur quels critères ? La loi dérape déjà en élargissant le DPI à la trisomie 21. A-t-on le droit de sélectionner les humains qui ont la permission de vivre ? Imaginez la stigmatisation dont serait victime la personne trisomique. « Elle n’aurait pas dû naître » : telle est l’étiquette que la loi encourage à lui coller. Sans compter d’autres dérives, comme le souligne Dominique de Buman qui utilise cette image du mythe de Prométhée : « On risque d’ouvrir la boîte de Pandore ». Les parents seront-ils un jour poussés à ne laisser vivre que des enfants absolument sains, sans aucun risque de maladie héréditaire ? Quel gain pour les assurances ! Nous nous rapprocherions alors de l’eugénisme nazi qui, à force de vouloir faire de bons aryens, aurait en réalité produit des bons à rien, faute d’un brassage génétique suffisant, comme le disait Albert Jacquard. Nous n’en sommes pas là. Mais ce projet de loi va dans le sens d’une mainmise de plus en plus forte de l’homme sur les débuts de la vie.
Le déroulement de l’existence sera lui aussi soumis à ma volonté. Je deviens ce que je veux être en choisissant notamment mon genre : voilà l’idéologie en train de s’imposer. « On ne naît pas femme : on le devient » disait Simone de Beauvoir. Et Sartre de renchérir : « L’homme n’est rien d’autre que ce qu’il se fait ». On refuse tout donné. Tout don. La liberté individuelle est érigée en absolu. Seul compte ce que je forge moi-même. Recevoir quelque chose de la nature ou d’autrui ? N’y pensons pas ! « Les autres, c’est l’enfer » proclame d’ailleurs Sartre. Voici l’homme seul maître de son monde. Seul et donc totalement responsable de ce qui lui arrive, par exemple de ses maladies. Pourquoi lui rembourser ses soins ? Il aurait dû mieux se gérer ou alors ne pas voir le jour s’il avait une maladie génétique.
Au troisième âge, lorsque la fin se profile et que la santé s’amenuise, l’être humain, déjà propriétaire de sa vie et de sa progéniture qu’il a laissée naître ou non, doit pouvoir logiquement choisir l’heure de sa mort. Dans plusieurs cantons, on tend à obliger les EMS à accueillir Exit, l’association d’aide au suicide. Au nom de la sacro-sainte liberté des personnes âgées de disposer de leur existence. Là aussi la vie n’est plus considérée comme un don mais comme une possession.
Quant à l’environnement, n’est-il pas de plus en plus façonné par l’homme qui le défigure en le bétonnant ? Je le vois dans mon quartier. En quelques années, le béton a remplacé la verdure des bosquets et deux vieux chênes, auberges des oiseaux, ont été froidement abattus. Tout cela au nom de la densification et avec la bénédiction des autorités communales de Fribourg. Prométhée, là aussi, s’est déchaîné. L’homme finira-t-il emmuré ?
Moi, moi, moi. Tout m’est dû. Tout doit être sous mon emprise, exploité. La vie et la nature, je les configure comme un ordinateur. Qui sait encore recevoir et admirer la beauté de l’être qui nous est donné ? Comme ce moine expliquant ainsi son entrée à la Valsainte : « J’ai vu que les fleurs étaient belles et j’ai compris que je devais remercier Quelqu’un ».
Jacques de Coulon
Paru dans La Liberté du 28 avril 2015