On ne peut pas croître indéfiniment dans un monde fini sans foncer dans le mur à plus ou moins brève échéance. Cette affirmation d’une logique évidente s’applique à notre économie et à notre mode de vie. Plus particulièrement, ce « mur » nous saute déjà aux yeux si l’on considère le bétonnage progressif de notre plateau suisse, conséquence d’une croissance et d’une urbanisation mal contrôlées.
En cette période de canicule, la dictature du béton se fait fortement sentir. Si vous vous baladez au centre d’une ville, par exemple à Fribourg près du théâtre Equilibre, ce monument dédié au dieu Béton, vous risquez d’étouffer de chaleur alors que si vous allez vous promener en forêt, vous respirerez enfin, la température baissant de plusieurs degrés. Il suffirait pourtant de planter plus de verdure dans les villes, comme le suggère la climatologue Martine Rebetez : « Mettez de la végétation sur un sol goudronné et vous pourrez réduire de 5 degrés l’air ambiant. » Dans un article intitulé « cultiver ses salades en ville » (cf. « LL » du 9 juillet), Pascal Fleury montre avec brio comment des « fermes urbaines » avec des façades et des toits végétalisés permettront aux citadins du futur (80% de la population en 2050) de se nourrir. Les espaces verts présentent un triple avantage : ils rafraichissent d’abord la ville en atténuant l’effet du béton ; ensuite les végétaux, notamment les arbres, absorbent le dioxyde de carbone et diminuent ainsi la pollution ; enfin, les surfaces végétales sont une source d’alimentation pour l’avenir. Bref, les ilots de verdure sont les poumons de nos cités.
Trop souvent, nos autorités, hypnotisées par la croissance de leur commune et l’arrivée de futurs contribuables, ne semblent guère sensibles à ces bienfaits. Je l’ai constaté autour de chez moi où plusieurs haies et arbres ont été abattus sans être pour l’instant remplacés. Même le pape François dénonce cet état de fait : « Certains quartiers récemment construits sont congestionnés, sans espaces verts suffisants, écrit-il. Les habitants de cette planète ne sont pas faits pour vivre en étant toujours plus envahis par le ciment, l’asphalte, le verre et les métaux, privés de contact physique avec la nature. » Judicieux constat même si le saint Père oublie de s’inquiéter de la surpopulation car les humains ne peuvent, eux non plus, croître infiniment dans un monde fini.
Une prise de conscience émerge en divers points de la planète. À New-York par exemple où l’on plante des milliers d’arbres pour atténuer le réchauffement climatique. J’en ai fait l’expérience l’été dernier : en pleine canicule, à plus de 30 degrés, j’ai eu moins chaud dans la grande métropole américaine que ces jours-ci à Fribourg ! L’espace urbain est parsemé de parcs et de squares verdoyants. À Lausanne, grâce au projet « un arbre, un enfant », plus de 1500 arbres ont pu voir le jour. Nos édiles pourraient s’inspirer de telles initiatives. On parle beaucoup de densification, leitmotiv des projets urbanistiques. Mais cette densification se limite presque toujours à un bétonnage plus intensif qui devient le tombeau de la verdure. Or la densification des bâtiments devrait au contraire s’accompagner d’une densification des espaces verts, comme le dit très bien l’architecte Jean Nouvel : « La densification, ce n’est pas planter une tour au milieu d’une zone pavillonnaire. C’est permettre à la maison de s’étendre un peu mais en contrepartie d’une végétalisation des façades. » Où sont donc nos murs végétalisés ?
« Quand tu regardes une fleur, n’oublie pas qu’elle aussi te regarde » me disait un contemplatif. Le poète Rilke parle de « l’arbre qui peut-être pense en dedans ». Puis-je dire cela d’un mur en béton ou du goudron d’un parking ? Sûrement pas. En l’absence de végétation, l’homme se retrouve seul face à ses constructions artificielles, étouffantes de chaleur en été et glaciales en hiver. Seul dans les murs de son ego en train de l’asphyxier.
Jacques de Coulon
Paru dans La Liberté du 21 juillet 2015