À l’approche de Pâques, fête de la résurrection, il convient de s’interroger sur l’immortalité et sur les formes qu’elle pourrait prendre. Dans le cadre d’une semaine thématique, des élèves du Collège Saint-Michel réfléchissent sur le transhumanisme, mouvement préconisant le dépassement de l’homme dans une entité biotechnologique. Quant au philosophe fribourgeois François Gachoud, il publie au Cerf un livre éclairant intitulé « Comment penser la résurrection » qui montre une toute autre voie vers l’immortalité.
L’une des figures de proue du transhumanisme est Ray Kurzweil, génial informaticien directeur chez Google. « Nous allons fusionner avec les machines » annonce-t-il. Et de préciser deux étapes : « Au tournant des années 2030, des millions de nano-robots de la taille d’une cellule humaine agiront à l’intérieur de nos corps et constitueront un rempart formidable contre la maladie. Et dès 2045, nous rendrons le cerveau humain immortel en versant son contenu dans un ordinateur. » Il animera un robot dont les pièces seront indéfiniment remplaçables. Dans ce projet matérialiste réservé à une élite financière, l’être humain en chair et en os n’est qu’une étape transitoire de l’évolution. Son corps est si vite périmé ! La machine est l’avenir de l’humanité. D’où ces questions philosophiques : l’homme se réduit-il à une base de données transférable d’un support (corporel) à un autre (technologique) ? N’est-il pas toujours plus qu’une somme de processus mesurables et n’est-ce pas ce PLUS qui constitue son identité ? L’immortalité promise par les transhumanistes ne serait alors qu’un super-profil Facebook. Si je meurs demain, ce profil me survivra mais personne ne songerait à me confondre avec lui, aussi élaboré soit-il.
Toute autre est la vision de la résurrection. Le corps n’est pas une enveloppe passagère qu’on abandonne. Le tombeau de Jésus est vide, son corps n’y est plus. Il est transfiguré par la résurrection. Ainsi en sera-t-il pour tout homme : il revivra dans sa chair et il n’est pas un ensemble de pièces détachables ou de données analysables comme pour les transhumanistes. L’être humain est un tout cohérent que Gachoud nomme la chair. « La chair, c’est tout l’homme habité par le souffle » écrit-il en la distinguant du corps-objet dissécable par les sciences. On peut certes transférer dans un ordinateur mes données chimiques ou biologiques, tout ce qui dans mon corps est objectivable, mais certainement pas ma chair animée de l’intérieur par une source de vie et de conscience jaillissant au fin fond de moi-même, en amont de toute représentation. Est-il concevable que cette source, à la racine de ma subjectivité, soit transvasée dans une machine ? Suis-je déracinable dans l’intimité de ma chair ? Certainement pas, répond Gachoud : « La chair vivante se différencie radicalement du mode d’apparaître des objets de ce monde. Elle désigne le souffle de vie qui, du dedans, fait de ce corps un soi absolument impénétrable. » Même pour un génie comme Kurzweil ! C’est cette chair qui est appelée à être revivifiée par le divin lors de la résurrection.
À la différence des transhumanistes voulant créer de nouvelles formes de vie, dans la perspective biblique, je ne fais que recevoir la vie du Premier des vivants qui a dit : « Je suis la Résurrection et la Vie » (Jn, 11,25). Je ne me prends pas pour le principe de vie, je ne crée pas ma vie. Dieu me donne son souffle. D’ailleurs, dans la Genèse, c’est l’orgueil de l’homme voulant s’égaler au Créateur qui a provoqué l’apparition de la mort. « Vous serez comme des dieux » dit le Serpent en poussant les premiers humains à manger le fruit défendu. Ils se coupent alors de la source de vie et leur corps redevient poussière (cf. Genèse, chap. 3). « Nous serons comme des dieux » proclame aussi le transhumaniste Peter Diamandis. Espérons que cet objectif ne nous entraînera pas vers une culture de mort où l’humanité deviendrait hors sujet. Pour le moment, joyeuses Pâques !
Paru dans La Liberté du 8 avril 2014