Les hygiénistes de l’Histoire

« On ne peut pas changer le passé. Il est éternellement vrai que les nazis ont mis le monde à feu et à sang ou que j’ai abimé ma voiture samedi » répétait mon professeur d’histoire en ajoutant : « Inutile de vouloir effacer la grande comme la petite histoire. Par contre, il est capital de l’étudier, ne serait-ce que pour en tirer des leçons et ne pas répéter les mêmes erreurs. » Vouloir rayer le passé ou n’en retenir que les moments « roses » serait une aberration révisionniste, source de déracinement.

Or c’est ce qui est en train de se produire. Au nom d’un antiracisme primaire, certains déboulonnent des statues ou débaptisent des rues pour éradiquer du paysage toute trace de personnages ne correspondant plus aux canons de notre morale. On vise même Gandhi qui, jeune avocat en Afrique du Sud, aurait tenu des propos déplacés envers les noirs, même si par la suite il lutta contre le colonialisme en Inde. On s’en prend aussi à Churchill, victorieux du nazisme. Dans ces conditions, il faut cesser de lire Rimbaud qui fit commerce d’armes en Afrique à la fin de sa vie et rejeter la plupart des penseurs antiques qui tolérèrent l’esclavage, tel Aristote pour qui l’esclave n’était qu’un « objet animé ».

Dans cent ans, nous serons peut-être taxés de maltraitance pour avoir confiné des enfants durant des heures dans une salle de classe ! Selon Hegel, la Raison progresse dans l’Histoire en s’y incarnant pas à pas. Les principes de liberté et d’égalité ont mis des siècles avant de s’imposer. Ils ne sont d’ailleurs pas en vigueur partout dans le monde actuel. On ne peut donc reprocher à nos ancêtres de n’avoir pas respecté des valeurs à une époque où elles n’avaient simplement pas encore vu le jour. Cela n’empêche pas d’exercer notre esprit critique en examinant telle situation historique à la lumière de nos connaissances récentes mais en la replaçant dans son contexte.

Anéantir des figures d’antan sous prétexte que leurs travers surpassent leurs qualités à l’aune de nos critères, comme le souhaitent nos nouveaux barbares, ne fera que nous rendre amnésiques. Un arbre dépouillé de ses racines ne s’ouvre plus vers le haut. Comment construire l’avenir si nous nous coupons du passé ? Monuments et statues nous relient à notre mémoire collective, fussent-ils édifiés par des personnages peu recommandables ou dans des conditions de travail déplorables, comme les pyramides d’Egypte. Faut-il pour autant les détruire ?

Plutôt que de refouler le passé, mieux vaut l’assumer. Au lieu de filtrer l’Histoire pour la rendre politiquement correcte et conforme à un monde de bisounours, apprenons à la connaître en profondeur, avec ses hauts et ses bas. Enseignons aussi à nos écoliers la biographie des personnes statufiées de leur région en expliquant leurs côtés positifs et négatifs. S’engager dans une sorte de « purification historique » nous mènerait au désastre de l’oubli de nos racines. L’enfer n’est-il pas pavé de bonnes intentions ?

Jacques de Coulon

Article paru dans La Liberté

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