Le naufrage de la pensée face aux extrêmes

indexCes derniers temps, deux coups de tonnerre ont retenti : les attentats islamistes et la montée de la droite dure islamophobe. Ce qui frappe, c’est la pauvreté intellectuelle des réactions. Sidérés par les événements, nous restons dans un vide intersidéral sur le plan des idées. Qu’avons-nous à opposer à ces extrêmes ? La diabolisation. Au lieu de combattre les fondements doctrinaux du djihad, nous nous contentons de lancer des bombes et de nous barricader dans un état d’urgence. Plutôt que de lutter contre l’extrême-droite sur le terrain des idéaux, nous préférons la stigmatisation : tout sauf le Front national (FN) ou le candidat de Blocher. Ce qui nous rassemble, c’est le soleil noir de l’adversaire et non l’étoile lumineuse d’un projet cohérent. Pour le moment, cette tactique marche encore. Mais pour combien de temps ?

Les extrémismes prospèrent de deux manières : d’abord par la tribune qu’on leur offre en se focalisant sur eux, ensuite parce qu’ils se renforcent l’un l’autre. Les islamistes nourrissent l’extrême-droite dont la rapide expansion provoque une réaction identitaire chez de nombreux musulmans qui se sentent de plus en plus ostracisés. Des enseignants de banlieue témoignent : certains élèves se radicalisent jusqu’à considérer les auteurs des attentats comme des héros ! Dans ce désert actuel des idées, les extrémistes sont en passe de gagner la guerre idéologique en colonisant insidieusement les esprits : l’islamisme s’implante dans les « territoires perdus de la République » et l’idéologie FN gagne du terrain aussi bien chez les chômeurs que dans les beaux quartiers. Michel Houellebecq serait-il prophète ? J’ai franchement ri en lisant son roman « Soumission » où il prévoit un deuxième tour de l’élection présidentielle en 2022 entre Marine Le Pen et un islamiste. Ce dernier finit par gagner grâce au soutien de Manuel dont la valse demeure figée sur une seule position : bloquer le FN. Aujourd’hui, je ris jaune.

Nous avons proclamé la mort des idéologies, marxisme en tête. Nous étions enfin émancipés ! Mais n’avons-nous pas jeté le bébé avec l’eau du bain, les idéaux avec l’idéologie en train de se liquéfier ? Nous nous sommes lancés à corps perdu dans le grand marché consumériste en adoptant une attitude matérialiste et la « pensée commerciale » qui, pour honorer le dieu Profit, n’a pas hésité à s’allier à des régimes fondamentalistes comme l’Arabie finançant l’intégrisme. Or l’être humain a besoin de sens, de raisons de vivre. À force de faire la fête et du shopping, il a la gueule de bois. Son existence libre ne peut se réduire à un choix entre deux marques de vêtements ou d’iPhones. Il faut reconnaître que les islamistes et les adeptes d’une droite dure ont une pensée musclée et charpentée. De quoi susciter l’adhésion des brebis perdues. En l’absence d’autres repères et face à l’indigence des débats, de nombreux jeunes assoiffés d’absolu se tournent vers les extrêmes. Comment leur en vouloir lorsqu’on écoute les discours tactiques d’un Valls ou d’un Sarkozy ânonnant son « ni, ni » ou encore des chefs de groupe lors de l’élection au Conseil fédéral ? Si nous laissons le champ des idées en friche, il risque de se muer en champ de mines.

Islamisme et droite dure ont une base commune : le refus de l’autre. Refus de l’étranger pour l’extrême-droite qui glorifie les racines blanches et chrétiennes de l’Occident. Refus de l’Occident idolâtre pour les islamistes qui absolutisent le premier pilier de l’Islam : pas de dieux hors de Dieu, seule vraie Réalité. Les terroristes n’ont pas frappé au hasard. Ils ont ciblés des lieux de divertissements, aux antipodes de leur Allah. Pour répondre à ces extrémistes et à leurs adversaires qui oublient de penser, je citerai ces propos d’une électrice socialiste de Strasbourg : « Tout ce que le PS offre, c’est de voter contre. J’ai envie qu’on me parle de solidarité, de projet social et économique différent. » Qui l’entendra ?

Jacques de Coulon

Paru dans La Liberté du 21 décembre 2015

2 commentaires :

  1. Ping : Honteux : Le philosophe Jacques de Coulon met sur le même pied les djihadistes et ceux qui veulent protéger la civilisation européenne - Les Observateurs

  2. Merci Jacques pour ces propos très pertinents. Le dieu Profit, oui, que de crimes commis en son nom, plus vorace que Moloch..Le dieu Profit gagne à tous les coups, car il fait vibrer la corde de nos égoïsmes, de notre « chacun pour soi » et de « plus j’en ai, plus j’en veux ». Ce qui évidemment fragilise, car plus j’en ai plus j’attire les convoitises des autres qui n’ont presque rien
    Alors que faire ? Il nous faut commencer par là où nous sommes saisis, « esclavés ». Sortir de notre égoïsme, écouter et aider notre prochain, sortir du matérialisme et retrouver notre souffle intérieur. Nous pouvons commencer par de toutes petites choses, tous les jours dans notre quotidien, autour de nous. Appliquer la tactique du petit colibri…une parole gentille, un sourire, un geste aidant, arrêter ma voiture pour proposer un lift à une vieille dame, céder ma place dans le bus, etc .Mais, cela demandera toujours un effort sur nous-mêmes, effort assez sérieux même…Mais les générations d’avant nous l’ont fait et la prospérité dont nous bénéficions et que nous sommes en train de dilapider, c’est à elles que nous la devons..Donc à notre tour d’assumer notre responsabilité éthique, sociale et spirituelle, vis à vis de nos enfants et petits enfants, qui n’oublions pas, nous regardent..

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