Le pape François vient de publier une encyclique nous invitant à « une révolution culturelle» en changeant radicalement notre rapport au monde (cf. LL du 19 juin). La Terre est notre bien commun, nous l’avons reçue en héritage et nous n’avons pas le droit de la confisquer pour notre profit immédiat car nous sommes en sommes responsables envers les générations futures. Nous voici tous embarqués sur le même navire, notre « maison commune », que nous sommes en train de détruire par nos moyens techniques au service de nos appétits démesurés. Le bateau coule et nous avec. D’où l’urgence d’une prise de conscience, d’une « conversion écologique » débouchant sur des comportements concrets. « Tout est lié » répète à maintes reprises le pape. Toutes les créatures sont interdépendantes : cet arbre, cette fleur ou cette abeille sont nos frères et sœurs. En provoquant l’extinction de certaines espèces, c’est notre propre disparition que nous programmons. « Un crime contre la nature est un crime contre nous-mêmes » souligne l’encyclique.
La Terre n’appartient pas à l’homme. Il ne l’a pas créée mais l’a reçue en héritage. De qui ? Des générations qui l’ont précédé mais aussi de plus loin dans le temps puisque la Planète bleue existait bien avant l’humanité. De plus loin mais aussi de plus haut si l’on croit en un Dieu créateur et, comme Einstein, en une Intelligence gouvernant le monde. Cependant, que l’on soit croyant ou non, il n’en demeure pas moins que « la Terre est un héritage commun dont les fruits doivent bénéficier à tous », insiste François. L’homme ne peut prétendre la posséder pour l’exploiter à outrance selon son bon plaisir. Le monde lui a été confié, il en est le gardien, « l’administrateur responsable » dit le pape, notamment vis-à-vis de ses descendant pour que la vie se perpétue de façon décente. Plusieurs traditions religieuses, dont l’islam et le judaïsme, présentent l’être humain comme l’intendant de Dieu sur la terre. Cette conception de l’homme rejoint celle d’Emmanuel Levinas : « Il importe à l’homme, écrit-il, de savoir que Dieu créa la Terre. Car sans le savoir, il ne possédera que par usurpation. » Et d’ajouter cette vérité que tout capitaliste devrait méditer et se répéter comme un mantra : « Posséder, c’est toujours recevoir. »
L’encyclique dénonce avec force la privatisation des ressources naturelles transformées en marchandises rentables. L’eau ou les forêts font partie du patrimoine de l’humanité et « l’intérêt économique ne doit jamais prévaloir sur le bien commun. » François relativise l’importance de la propriété privée. Sans aller jusqu’à dire avec Proudhon que « la propriété, c’est le vol », le Pape énonce cette Règle d’or : « La subordination de la propriété privée à la destination universelle des biens. » Il l’explicite ainsi : « Celui qui s’approprie quelque chose, c’est seulement pour l’administrer en vue du bien de tous. » La terre que je possède n’est pas ma chose : je n’en suis que le dépositaire, je l’ai reçue, je suis censé la préserver et je la transmettrai. Nous voici aux antipodes de l’idéologie prédatrice de notre système néolibéral privilégiant la concurrence féroce entre individus.
« Le bien commun inclut les générations futures » poursuit l’encyclique. L’homme a le devoir de léguer l’héritage de la Terre à ses descendants. Actuellement, il n’en prend guère le chemin. La satisfaction des pulsions immédiates et les technologies à sa disposition le poussent à dilapider l’héritage en consommant outrancièrement au risque d’interrompre le flux de la vie par un barrage d’égoïsmes agglomérés. Le philosophe Hans Jonas énonce le nouvel impératif de notre époque qu’il nomme principe de responsabilité : « Agis de façon que les effets de ton acte soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre en incluant dans ton choix l’intégrité future de l’homme. » Le pape François, Levinas, Jonas : les trois nous invitent à l’adoption d’un nouveau paradigme.
Jacques de Coulon
Paru dans La Liberté du 25 juin 2015